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L'arsenal poétique suite
7 mai 2013

Tristia

Tristia

J’ai maitrisé l’art pur de la séparation,
plaidoyer  nu détressé de la nuit, car ils
trainaient,  restés mâcher, bovins à la ration,
dernière paupière retombée sur la ville.
Mais je vénère autant, chant du coq à minuit,
sac de torts sur l’épaule, un de ces voyageurs
les yeux striés de larmes, écoutant loin la nuit
et la chanson des muses, et les femmes aux longs pleurs.

Mais à qui reviendra, disant ‘séparation’
de dire en quel écho, sonnerie, sérénade,
lancer de cri du coq, dans quelle exclamation
au temple la bougie s’enroule en colonnade ;
pourquoi au crépuscule, aube de vie nouvelle,
le bovin, ration mâchée dans  l’étable vile ;
pourquoi l’oiseau qui veille, crieur du soir, et l’aile
retournée alarmée haut les murs sur la ville.

Et je révère aussi, tenue du fil défait,
ce fuseau  frissonnant , va-et-vient de navette ;
voyez cette Délia, qui vient pieds nus défier
ces vols de cygnes, et glisser droit devant dans vos bras.
Ce tissu d’existence, oh comme il est grossier ;
comme pauvre est la langue à nos vraies réjouissances.
Ce qui fut tout d’abord fond dans ce moule usé,
immense et vraie douceur de la reconnaissance.

Ainsi soit-il : figure floue mais  translucide,
robe de l’écureuil roux sur ce plat exquis
de terre. Penchée là, une fille demande
enfin,  impatiente, à la cire : que veux-tu dire ?
Mais  rêver sur l’Erèbe n’est pas de notre manne :
la cire aux femmes ; et l’acier aux hommes. Et si ce
lot,  par temps de guerre leur est tiré, aux femmes
est accordé  la mort tandis qu’elles divinent.


1916  Ossip Mandelstam

 

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